Depuis la rentrée, je suis une formation sur la pédagogie dans le supérieur auprès de l’organisme Sapiens.
Et je surkiffe.
Ca me manquait. Il faut dire que, comme la plupart de mes collègues enseignants-chercheurs, j’ai appris à enseigner… en enseignant. J’ai suivi quelques formations pédagogiques pendant ma thèse, mais ça n’était pas suffisant (bien que l’organisme ait fait ce qu’il a pu). D’où un furieux manque de confiance en moi qui m’a poussée à en faire plus que nécessaire, et à m’épuiser.
Jusqu’à maintenant, j’ai construit mes cours en reproduisant ce que j’avais vu en tant qu’étudiante, en conservant ce qui m’avait plu et en éliminant ce qui m’avait déplu. J’ai repris les contenus de mes prédécesseurs, en mettant à jour le polycopié qu’ils m’ont gentiment confié (il datait des années 80 quand même). Puisque j’enseigne en DUT, je dois suivre un programme national : j’ai pris le programme, et dispatché les différents points entre les différentes séances, en essayant d’être cohérente. Ensuite, pour chaque point, j’ai bricolé des exercices pour remplir les séances.
J’ai fait plein de trucs : un polycopié avec des belles couleurs, un diaporama avec plein de schémas, des cours avec le sourire. Les collègues m’ont complimentée, les étudiants m’ont remerciée. J’étais vachement fière de moi.
Mais quand même, il me manquait un truc. J’avais l’impression de manquer quelque chose, de travailler sans repère. Et puis le 1er confinement est arrivé.
Il a bien fallu chercher comment monter un cours en ligne. Je ne me voyais pas transposer mon cours du présentiel au distanciel sans l’adapter à ce nouveau format (je vous ai déjà parlé ici du résultat). J’ai suivi quelques formations par-ci par-là aussi. C’est lors de ces formations que j’ai découvert quelques résultats des sciences de l’éducation.
Je m’étais toujours dit que les sciences de l’éducation concernaient plutôt les écoles, et que s’il y avait des résultats qui me concernaient, on me l’aurait dit à un moment ou à un autre, non ?
Non ?
Après cette rencontre, j’en suis venue à penser que si on ne m’a jamais parlé des sciences de l’éducation, c’est sans doute que les résultats tombent tellement sous le sens que c’est pas la peine d’en parler. qu’il s’agissait certainement de mettre des mots compliqués sur des idées simples. Je me suis inscrite en formation pour connaître ces mots et ainsi affiner mon approche qui était déjà pas si mal (si j’en crois ma mère).
C’est un plaisir de passer du temps à parler pédagogie. La pédagogie est presque un gros mot à l’université. Une de mes collègues, qui est absolument charmante et pleine de bonnes intentions, m’a dit une fois qu’elle refusait d’entendre parler de pédagogie : il ne faut pas traiter les étudiants comme des enfants, il ne faut pas trop les chouchouter, il faut qu’ils apprennent à se débrouiller.
Oui mais si on veut qu’ils se débrouillent, il faut leur donner les bons outils et les guider vers l’autonomie. Et puis on peut aussi chercher à se renseigner, tenter de s’améliorer, sans aller jusqu’à materner les étudiants.
Alors tout en profitant du plaisir d’échanger avec des gens qui ne confondent pas la pédagogie avec la démagogie, j’ai suivi les cours avec assiduité.
Et au bout de quelques séances, j’ai compris où tout cela m’entraînait.
Je suis peut-être un peu lente, parce que ça avait été annoncé dès le 1er cours. J’avais compris les mots, mais je n’avais pas réalisé la profondeur de la chose, ni à quel point j’en avait besoin. Il s’agit de la transition pédagogique.
La transition pédagogique, c’est le passage d’un approche centrée sur l’enseignant (grossièrement : on a des contenus, on les met en forme, on les met dans l’ordre, et transmet des informations) à un approche centrée sur l’étudiant (toujours grossièrement : on définit des objectifs pédagogiques et on crée des activités pour atteindre ces objectifs). Ca n’a l’air de rien comme ça, mais les deux approches sont aussi différentes que le sont les méthodes top-down et bottom-up en physique.
L’approche centrée sur l’enseignant consiste à définir ses enseignements en répondant à la question : « Qu’est-ce qu’il faut que les étudiants aient vu ? ». C’est une approche très logique quand on prend un enseignement défini par un programme ou une maquette. Et ce n’est pas absurde. Il est important que les étudiants rencontrent les concepts fondamentaux, qu’ils se constituent une culture générale… En revanche, les apprentissages concernés par cette approche demeurent plutôt superficiels. Elle met l’enseignant en posture d’autorité sur lequel est concentré toute la responsabilité du déroulement du cours (voilà pourquoi j’étais épuisée !), l’étudiant en posture passive. C’est peu motivant pour l’un comme pour l’autre.
Dans l’approche centrée étudiant, au contraire, on commence par réfléchir à l’objectif, qui est défini par une phrase du type « à l’issue du cours, les étudiants seront capables de… ». Suit un verbe issu de la taxonomie de Bloom. On peut par exemple, pour un enseignement visant à faire mémoriser une formule, dire que les étudiants doivent être capables d’énoncer la formule. Pour un enseignement visant à faire déterminer un résultat numérique, qu’ils doivent être capables de calculer ce résultat. Ce changement de perspective permet de concevoir et de choisir ses activités pédagogiques en fonction du but à atteindre plutôt qu’en fonction du sujet à aborder. Les étudiants sont au centre des préoccupations, pas les contenus. Ils sont des sujets actifs auxquels on doit permettre de s’approprier la connaissance. On leur donne non seulement les concepts, mais aussi les outils pour s’en emparer et les manipuler. Cela suppose toutefois de laisser partager la responsabilité et la maîtrise du déroulement du cours avec les étudiants.
Ca n’a l’air de rien, comme ça. Il n’y a que des idées logiques, qui tombent sous le sens. Ce sont des mots posés sur des idées simples. Mais après quelques séances et plusieurs exercices visant à déterminer des objectifs pédagogiques puis à choisir des activités, j’ai fini par considérer que cette distinction était plus profonde qu’il n’y paraissait au premier abord. En tout cas, si je regarde les exercices que j’ai proposés par le passé, je n’arrive pas toujours à déterminer leur objectif, et il me semble que je les ai juste proposés pour remplir une séance traitant d’un contenu qu’il faut avoir vu. J’ai toujours beaucoup insisté sur mes cours, sur la pédagogie que j’utilise en cours, sur l’ordre dans lequel je traite les notions… mais moins sur les exercices et leur utilité.
Je suis donc en train de préparer mes cours du second semestre en me servant de ce que j’ai appris. Le changement est déjà profond. Je ne me demande plus « où je vais caser la partie sur le système X » mais « que doivent-ils savoir faire avec le système X » : l’identifier ? le comprendre ? le manipuler ? l’analyser ? L’activité choisie pour atteindre l’objectif en découle et il me semble, pour l’instant, plus facile de placer une activité dans le cours qu’une partie à l’objectif indéfini.
En tout cas, je me sens déjà plus à l’aise. J’ai quelques repères, je sais un peu mieux sur quelles bases démarrer ma préparation de cours. Je ne sais pas si ça marchera pour les étudiants, mais je me sens bien, et c’est déjà ça de pris.